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ET LA RELIGION DU DANDYSME

L’appartement était meublé d’un guéridon en noyer, aux bords sinueux, d’un secrétaire italien, de larges fauteuils d’acajou recouverts de housses grises. Divers tableaux ornaient les murs. Le portrait miniature de Mme Aupick « au long cou » se voyait en bonne place. Les livres étaient remisés dans les cabinets adjacents. C’étaient, surtout, des livres d’auteurs anciens dans leur reliure du temps ; des vieux classiques que Baudelaire affectait de lire exclusivement. Les camarades de bohème qui venaient, pour la première fois, chez Baudelaire s’étonnaient du luxe inusité d’un tapis. Le Poète y répandait des parfums (des flacons de musc à vingt sous, dit Nadar)[1]. Il disposait d’un valet de chambre silencieux et correct.

Ce qui démontre l’infirmité des témoignages humains, c’est que Nadar et Banville, rendant compte de la visite qu’ils firent à Baudelaire, ensemble, le même jour, ne concordent pas dans leur version. Banville multiplie les dépendances du logement, voit autant de cabinets autour de la pièce principale que de pétales autour d’un cœur de marguerite[2] et y entasse à profusion les objets d’art. Le moderne guéridon en noyer devient un luxueux

  1. Nadar, Ch. Baudelaire intime (Blaizot édit.).
  2. Théodore de Banville, Baudelaire (La Renaissance littéraire et artistique, numéro du 27 avril 1873).