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et la religion du dandysme

prétend Nadar, ou par système ? Le vœu du dandysme, selon Baudelaire, c’est d’ôter à l’Amour son caractère de « répugnante utilité » pour le réduire à n’être plus qu’« un caprice brûlant ou rêveur ». Il est indéniable que partout, chez Baudelaire, se respire la peur de l’Amour agissant[1]. C’est d’abord parce qu’il risque d’y perdre le gouvernement de soi-même, signe le plus éclatant de la supériorité du dandy ; c’est, ensuite, parce qu’il n’envisage de l’Amour que le pouvoir néfaste. L’Amour agissant, c’est, pour lui, l’Amour fatal auquel, depuis les temps les plus reculés, l’humanité jette l’anathème mérité :

Amour ! fléau du monde, exécrable folie !

C’est la bête féroce, ivre de carnage, traînant après soi, dans sa course furibonde,

  1. Cette idée de réserve, d’abstention, de prudence est si naturelle à Baudelaire, si invétérée, qu’elle lui a inspiré le sonnet CIV des Fleurs du Mal, le meilleur incontestablement de toutes les pièces surajoutées :

    « Pendant que des mortels la multitude vile
    Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
    Va cueillir des remords dans la fête servile.
    Ma douleur, donne-moi la main ; viens par ici. »

    Ce qui prouve bien la sincérité de Baudelaire, c’est que ce sonnet, écrit en dernier lieu (il n’a paru que dans la 3e édition) jaillit d’un élan puissant d’avoir été longtemps contenu et médité et qu’il rend, aux heures de décrépitude du Poète, l’écho devenu si rare des beaux chants d’autrefois.