Page:Raynaud - Baudelaire et la Religion du dandysme, 1918.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
charles baudelaire

une confusion
De vêtements souillés, de blessures ouvertes
Et l’appareil sanglant de la destruction.

Cet effroi de l’Amour s’explique par le sentiment que la vie se crée de la mort et que la perpétuité de l’espèce ne s’assure qu’au détriment de l’individu. Mais là où le savant ne voit qu’une sollicitation de la Nature en perpétuel besoin de matière organique pour sa chimie mystérieuse et de substance à refondre pour des essais nouveaux, Baudelaire ne voit qu’une intervention diabolique, un piège tendu pour la perdition de l’Âme. Il repousse donc l’appel de l’instinct comme une suggestion mauvaise et, en cela, il reste d’accord avec la doctrine évangélique ; mais où il s’en détache, c’est quand, après avoir prononcé le sacramentel vade retro et refusé au démon l’accès de sa chair, il l’accueille et lui fait fête en imagination. D’où vient cette inconséquence ? D’abord d’un calcul de prudence. Baudelaire fait la part du feu. Il sait qu’il faut compter avec « le Malin ». Le Malin, c’est la Nature. Elle se rit de nos sages résolutions, de nos vœux de prudence, d’hygiène et de continence. Le sage sait qu’il n’est pas de taille à la combattre de front. La brusquer, c’est l’exaspérer. L’affronter, en adversaire loyal, c’est être vaincu d’avance. Sa sommation est si impérieuse qu’on ne peut l’élu-