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LAMENTATIONS D’AGAR

À J. K. Hüysmans


Poètes au grand cœur, je m’en réfère à vous ;
Malgré tout le mépris que j’inspire et les blâmes
Qu’on me jette en passant comme autant de cailloux,
N’ai-je pas tout le dévouement des saintes femmes ?

Mes rideaux sont un mur qui me cloître et jamais
Mes yeux n’ont le bonheur de voir errer les nues
Floconneuses parmi le ciel des tendres Mais
Sous les feuillages frissonnants des avenues,

La migraine me ceint de ronces, et les coups
Que je reçois au sein de l’amoureuse lice
Mieux qu’un rosaire me flagellent les genoux ;
La crainte du mal qui m’épie est mon cilice.

Et comme les religieuses d’hôpital,
Distribuant sous les rideaux, l’or des tisanes,
Câline, j’utilise à soulager le mal
Cet art par quoi je suis l’une des courtisanes.