Page:Raynaud - La Mêlée symboliste, I, 1918.djvu/38

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brusques et se remparait d’un monocle insolent. Sa haine du médiocre s’énonçait en aphorismes brefs. Il jugeait de haut et, d’un seul mot, clouait ses désaveux au front des faux talents.

Tailhade se drapait, à l’espagnole, d’une cape noire doublée d’écarlate. Prodigieux d’à-propos, d’anecdotes et de saillies, il rejoignait la hauteur méprisante de Moréas à l’encontre des mauvais poètes en se couvrant de détours et les culbutait non d’un coup sec, mais d’une décharge de bons mots, d’une mitraille de concetti. Nul ne savait comme lui manier l’ironie ni distiller l’épigramme avec onction. Le même souci du bien dire les rendait impitoyables aux fabricants de vers, aux rhéteurs maladroits.

Leur avantage était d’être enracinés de fortes lectures, au moment même où l’on proclamait que le génie supplée à tout, et qu’à voyager dans les livres, l’écrivain risque de perdre son originalité. On juge de quel air ahuri les tenants de ce système entendaient Moréas se réclamer de Maurice Scève, Lemaire des Belges et Tailhade réciter, tout d’une haleine, des fragments latins de Claudien et des paragraphes entiers de Rabelais.

Tous deux n’en sont encore qu’à leurs débuts, à leur période de dilettantisme. Nous les retrouverons tout à l’heure, descendus de leur tour