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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/10

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comme une puissance menacée. Ils étaient si absorbés par leurs caresses qu’ils ne m’entendirent point m’approcher d’eux ; je saisis par les pieds un escabeau qui se trouvait là et je le lançai de toutes mes forces sur le couple détesté : deux cris s’élevèrent, un corps roula par terre et, dans sa culbute, fit tomber le flambeau qui s’éteignit. C’est alors qu’au milieu de l’obscurité je reçus un coup violent dans la poitrine, j’y répondis aussitôt et je rencontrai le sein de Carlona. Je me jette sur elle, puis, malgré ses cris, ses morsures et ses ongles qui s’enfoncent dans ma chair, je l’entraîne, sans qu’elle s’en aperçoive, jusqu’à la fenêtre ouverte, je me dégage soudain de sa furieuse étreinte, me baisse vivement, lui lève les jambes et, avant qu’elle ait pu deviner mon dessein, je la précipite dans le canal. En me reculant je heurtai du pied son complice, mais, soit que le misérable fût étourdi, soit que l’escabeau l’eût frappé au bon endroit, il ne daigna pas même s’apercevoir que je l’avais touché. Je le pris à bras le corps, quoiqu’il pesât le poids d’un reître lourd de bière et de choucroute, et je lui fis subir, comme à mon infidèle maîtresse, le supplice de la défenestration. Oh ! que j’aimai le bruit de cette chute et le jaillissement de l’eau qui allait ensevelir mon rival !

Comme tout était calme, je redescendis de la chambre, et sur le seuil de la porte qui donnait sur le canal, j’attendis qu’un batelier vînt à passer. Bientôt retentit dans le silence le cri : « Gondole ! Gondole ! » et j’aperçus une proue qui glissait lentement à la lueur d’une petite lanterne.

— Conduisez-moi, dis-je au gondolier, à Saint-Félice.

L’homme eut un sourire et un clignement d’yeux libertins en considérant ma physionomie heureuse. Il pensa que j’allais à un rendez-vous d’amour.