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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/106

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de sa tête le petit crucifix du moine ferrarais dont il avait, tant bien que mal, rajusté les morceaux.

— Mes chers frères, dit-il, semblable à mon divin Maître, je vous apporte la paix.

On ne l’écouta point ; des mains l’avaient saisi, le jetèrent la face contre le sol et les jambes vers le ciel, des poings de fer tombaient sur son crâne luisant qu’entourait une mince couronne de cheveux gris. En un clin d’œil, sa robe et son manteau furent lacérés, et l’on découvrit les os saillants, la peau jaunâtre et ridée, l’effrayante maigreur de son corps. Des taches violettes, des cicatrices provenant d’une discipline assidue et farouche, des ulcères béants d’on ne sait quel mal inconnu, que le moine ne soignait point par mortification, firent reculer d’horreur ses bourreaux. Il sembla au peuple que Dieu lui-même s’était chargé de son châtiment.

Cependant les bargelli, accompagnés de gardes armés comme à la bataille, tenant les uns l’épée nue, les autres la pique en avant, accoururent pour arracher le frère à la multitude et dégager les abords du palais.

Devant cette arrivée inattendue de la police, les plus chaudes têtes se calmèrent. C’est à peine si quelques coups de bâton furent nécessaires pour ramener l’ordre.

Le chef des bargelli commanda de se saisir de frère Gennaro, et l’on vit s’avancer entre les piques cette pauvre plaie vivante, cette masse horrible d’os, de blessures et de lambeaux de laine déchirés et boueux. On avait lié les mains du frère, mais entre ses doigts crispés le crucifix apparaissait toujours, et Gennaro détournait la tête pour que le sang infect, qu’il crachait et perdait à flots, ne vînt pas souiller la précieuse relique.