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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/107

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De peur qu’il ne s’évanouît durant le trajet à la prison, des zaffi l’étendirent sur un brancard, ce qui souleva dans la foule des murmures.

D’une fenêtre du palais où je m’étais mise à côté d’Arrivabene, dont l’ardeur amoureuse semblait s’être absolument éteinte, j’entendais monter des clameurs de haine.

— Pas de merci pour le violateur d’enfant ! pas de merci pour le bouc !

Le peuple, craignant que l’on ne fît grâce au malheureux ou qu’il ne parvînt à s’échapper, exigeait une justice immédiate ; et, comme les zaffi s’obstinaient à protéger leur prisonnier, on s’acharna contre eux, les empêchant d’avancer et essayant de se saisir de leurs armes. De tous côtés l’émeute renaissait. J’aperçus des filles qui venaient de se battre avec les sbires, la robe en loques, la chevelure sanglante, les yeux écarquillés de folie, la bouche écumeuse, se hisser, en dépit de nos hallebardiers, sur un échafaudage qui servait à la réparation de la façade et, de là, lancer sur le frère et ses gardiens des excréments et des pierres. Les bargelli, qui avaient jusque là ménagé leurs adversaires, ordonnèrent alors de charger la foule à coups de hallebardes. Une panique s’en suivit et la multitude se mit à fuir dans toutes les directions, se jetant dans des ruelles sans issue, envahissant les cours et les maisons ou se répandant, comme un troupeau de moutons affolés, dans les barques qui stationnaient sur le canal. Saisie d’horreur, j’allais me retirer de la fenêtre, quand un craquement retentit suivi de cris poignants. L’échafaudage s’était rompu sous le poids des corps qui le chargeaient et une femme, les jambes coupées, hurlait de détresse au milieu de cadavres mutilés et d’une boue immonde…