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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/197

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— Figurez-vous, dit Orsetta, que ma tante m’emmenait chaque matin, par religion, à Saint-Bartholomé, où ce turc va dire sa messe. Un jour, il me remarque, me lance des œillades. Ma bonne tante, qui priait bien doucement en se construisant le Paradis dans le creux de la main, ne devine point ces manigances ; mais moi, je veux en avoir le cœur net. Tu comprends, Fenice, on a beau être sage, le secrétaire d’un légat, ça ne se rencontre pas tous les jours. J’achète donc à l’apothicaire je ne sais quelle drogue que je mets dans le souper de ma tante et qui, le lendemain, lui fait s’en aller par en bas toute sa dévotion. Tandis que la purge lui retenait le derrière sur son siège, moi je m’en vais seule à l’église. Toute parée, les cheveux en or, une rose entre les tétins, l’air d’une petite sainte, j’eusse tenté jusqu’au bon Dieu. Je m’agenouille contre l’autel, de manière que l’abbé soit forcé de me voir. Mon Coccone arrive, se prosterne, lit l’Évangile, boit à plein calice, lève le bon Dieu, le mange, le goûte, nous tourne le dos, nous tourne le ventre, joint les mains, bref, ne manque pas un de ses Oremus, mais ne me donne pas la plus petite marque d’émotion. Sur mes genoux, que meurtrissait la rudesse des dalles, je séchais, je rageais d’avoir médicamenté ma pauvre tante et de m’être parée pour le lion de Saint-Marc ! N’avais-je pas loué deux scudi une chaîne en or, chez Basilide, l’orfèvre, afin d’être plus séduisante. Et tout cela n’allait me servir à rien ! J’eusse craché au visage du marchand de patenôtres. Enfin, comme le Coccone faisait une dernière révérence au bon Dieu et se mettait son bonnet sur le front, je m’approchai de lui. Il leva les yeux, et, voyant que le répondant était entré dans la sacristie et que nous étions seuls, il me dit à voix basse d’aller le retrouver derrière l’église, qu’il désirait me parler. Il n’eut pas besoin de répéter ses