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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/201

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Après un court entr’acte, je jouai Fulvia de la Calandra. J’eusse aussi bien joué Hélène, Phèdre ou Médée. Je restais, sur les planches comme dans la vie, une amoureuse, et les spectateurs, d’abord surpris, ensuite transportés par mon jeu, devenus haletants à chaque mot, à chaque pas de mon rôle, goûtaient avec passion cette interprétation nouvelle et pleine d’audace. Je le vis bien, lorsqu’après avoir au milieu de gémissements soupiré mon amour pour Livio, je devins, de maîtresse infortunée, une épouse rieuse, folâtre et cruelle, se moquant sans pitié de son bélître de mari, battant à coups de poing, à coups de pied, cette grosse chair ridicule.

— Bravo ! Bravo ! Plus fort ! Plus fort ! criait-on.

Alors il me sembla que j’étais la maîtresse de cette foule qui acclamait jusqu’à l’image de ma tyrannie, et je me sentis un plus noble courage, enflammée, aiguillonnée par les applaudissements.

À la fin de la Calandra, Fenice, Orsetta et moi, nous laissâmes la scène un instant pour demander à la costumière des rafraîchissements. Elle nous apporta une fiasque de vin, au moment où nous étions à nous habiller en déesses pour paraître dans le divertissement final.

— Seigneur, dis-je, quelle Hébé Jupiter nous envoie !

— Je me soucie peu que la vieille ait le visage laid si son vin est bon, reprit Fenice.

— J’ai grand peur qu’il ne le soit pas, dit Orsetta, Tiens ! sens-le. On dirait que, dedans, son ami l’abbé Coccone se serait permis…

— Oh ! la sale !… Mais si nous demandions une autre fiasque.

Justement la costumière était sortie et le divertissement allait commencer.