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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/448

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des églises, les plus éhontées courtisanes. Sa vie était un scandale pour la République. Est-ce qu’on ne prétendait pas l’avoir vu naguère se promener, en pleine Mercerie, escorté de toutes les femmes qu’il avait représentées dans ses Bains de Diane, créatures de mœurs inavouables et dont ce sultan avait composé son sérail ? Seule l’impunité dont il jouissait était un crime, et Venise ne pouvait pas se déshonorer plus longtemps. Les sermons de Martino trouvaient un écho jusque chez les élèves du peintre qui ne pardonnaient point à leur maître sa gloire persistante ; et, soit par austérité, soit par intérêt, tous n’attendaient qu’un prétexte pour se lever en masse contre lui. Ma dénonciation devait donc être très bien accueillie.

Cependant j’avais fait appeler un médecin auquel je racontai les empoisonnements. Comme il voulait examiner le corps de Cecca, j’entrai avec lui dans la chambre mortuaire. Je fus saisie d’horreur : le cadavre était devenu noir comme de la suie et répandait une odeur insupportable. Je me couvris la face et sortis en toute hâte ; puis, nous allâmes ensemble voir mon bien-aimé. Le médecin, avec des mains brutales, comme s’il ne sentait pas quelle âme tendre et passionnée avait frémi sous cette chair, dénoua la chemise, rejeta le drap, dévoila le corps. Il n’était que raidi, gardait quelque chose des grâces de l’existence, et l’ombre, qui emplissait les orbites, qui cernait la bouche, conservait au visage une grave, une majestueuse beauté.

— Votre ami n’a pas été empoisonné, dit le médecin.

Au même instant on m’apporta une lettre où Fasol m’annonçait son arrestation et me suppliait de ne pas le croire coupable.