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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/465

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Tandis qu’on servait les rafraîchissements, je demandai à Nichina une explication.

— Il y a, dans votre récit, un passage que je n’ai point entendu et que je tiendrais cependant à connaître. Savez-vous ce qu’est devenu Fasol ?

— Mais il est toujours aux galères, répondit Nichina. J’ai demandé sa grâce au Doge ; il a prétendu qu’en cette époque d’austérité où c’est un crime de s’asseoir sur du velours et de porter des dentelles, un homme, qui professait autrefois avec tant de franchise l’épicurisme et vivait si voluptueusement, n’avait aucune grâce à espérer. On excuserait à la rigueur ses crimes, mais on ne lui pardonne pas d’avoir dans ses œuvres célébré le plaisir. Tous ceux qui furent liés avec lui regardent comme une honte de l’avoir connu. On efface ses fresques dans les églises et on enlève son nom des monuments qu’il a décorés. Mais je ne l’oublie point. Ainsi, il n’y a pas un mois, je lui ai envoyé un pâté avec une fiasque de vin de Chio. N’est-ce pas, maman, que tu es allée porter des friandises à Fasol ?

Madame Francesca Ferro, qui avait enfin abandonné son ouvrage, approuva sa fille.

— Pour du cœur, dit-elle, Nina en a ; ce n’est pas ça qui lui manque. J’en suis même assez ennuyée, car cela me déshonore d’aller tous les deux mois voir un galérien. Il y a des gens qui me disent que c’est mon fils ; j’ai beau leur répéter que c’est seulement un amant de ma fille, ils ne veulent pas le croire.

Elle parlait toujours lorsque nous entendîmes au dehors, sous la pluie tombante, une galopade emportée. Un instant après, une servante à demi déshabillée, les cheveux épars, entrait comme une folle dans la chambre.

— Madame, le Doge qui arrive de Padoue !