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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/482

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— Ah ! dit-il, l’air d’Ancône lui avait fait beaucoup de bien. Après tout, ajouta-t-il, je suis peut-être le fils d’un de ses voisins. Moïse, en vieillissant, était devenu plus jaloux de son or que de sa femme.

— Tu ne te soucies pas d’être l’héritier de son sang, mais tu veux bien l’être de sa créance ?

— En effet, c’est plus important. Je voudrais reprendre peu à peu à Nichina tout ce qu’elle a volé à Moïse.

— Mais sais-tu bien que ce que tu prends à Nichina, tu le prends au Doge qui, en qualité d’amant, doit payer les dettes de sa maîtresse, et, en qualité de doge, les fait payer au peuple.

— Cela m’est égal, seigneur, je n’ai jamais eu pitié de la bourse des autres. Et puis, entre voleurs, que deviendrait-on avec trop d’honnêteté !

— Petit sacripant ! je te ferai expulser de Venise.

— Nous y rentrerons bien sans votre permission, moi, ma femme et mes enfants. Je suis juif, seigneur ; c’est vous dire que les coups de pied au derrière que je reçois, loin de m’affliger, me réjouissent fort. Je les garde longtemps, mais un jour on me les paie avec usure. Voilà comment j’ai des rentes.

Après le départ du jeune Moïse, Liello de Cecco voulut me parler encore.

— Tu es prêt à obliger un Juif qui te vole, dit-il, et tu ne peux secourir un Chrétien qui, s’il ne t’a pas rendu service, du moins ne t’a pas causé de mal.

— Paix ! répondis-je. Il vaut encore mieux faire du mal que de ne rien faire du tout, comme toi, fainéant, qui es incapable de te servir toi-même ! Ce galopin de Moïse, avec ses scélératesses, n’en fait pas moins marcher le commerce !

Nous nous éloignâmes, sans nous occuper de ses