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LA VENGEANCE D’UN INCONNU


une puissance, que Thérésia, peu farouche, et surtout intéressée, devait se plaire à conquérir. On les vit passer comme d’humbles et obscurs amoureux ; dès lors, Bordeaux les confondit dans la même réprobation.

Thérésia, pourtant, loin de ressembler à Tallien, mettait son honneur féminin à être bonne et s’appliquait à la miséricorde comme à une élégance. Arracher de Tallien des passeports, parfois des levées d’écrous ; empêcher des visites domiciliaires, prévenir des condamnations, c’était son jeu. Seulement, comme la bonté est une vertu qui mérite récompense et qu’on ne peut guère attendre celles de l’autre monde, Thérésia trouvait juste de faire payer ses grâces à ses obligés. Tantôt c’était un collier de douze ou quinze mille livres, tantôt c’était presque une fortune, vite gaspillée d’ailleurs, en joyaux, en toilette et en fêtes.

Le ménage vivait ainsi, fort doucement, des menaces du maître et des rémissions de la maîtresse. Il y avait bien, de temps à autre, de légères querelles, soit que Tallien jugeât périlleuse la vente d’une nouvelle grâce, soit que Thérésia se fût montrée trop aimable pour les camarades du représentant. Avec des façons d’ours mal apprivoisé, il criait à son amie : « Si tu continues, je vais te faire guillotiner. » Mais la jeune femme lui répliquait en riant : « C’est bien ! je ne t’embrasse plus. » Et sans force armée, sans bourreau, sans pouvoirs derrière elle, c’était encore la plus puissante.