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LES NUITS CHAUDES DU CAP FRANÇAIS


emportant, afin de n’être point reconnue, un voile léger de tulle noir que je me mis sur le visage, aussitôt que j’eus quitté les Ingas. Je me faisais suivre seulement des deux fils de ma servante Manon, qui me sont dévoués, parce que souvent je leur donne des friandises et des piécettes à l’insu de leur mère. Ils sont les espions des autres noirs de la plantation, et bien que l’aîné n’ait pas quinze ans, ils sont si forts, si courageux et si hardis que je ne crains rien avec eux. Ils avaient chacun, dissimulés dans un manteau, un petit pistolet et un poignard. Ces sorties nocturnes sont dangereuses. Il faut vraiment que j’aime mon Antoinette pour m’exposer ainsi.

Le soleil, étincelant à mon départ, m’abandonna en route. Il tomba derrière la mer. La nuit se répandit tout à coup sur les champs de cannes et sur les monts. Des touffes de feu, aux plus hauts sommets, jaillirent seules de l’ombre noire dans le ciel qui, d’instant en instant, semblait se ternir et se fermer pour nos yeux. Une tristesse infinie pesa sur tout mon être. J’attirai mon plus jeune compagnon contre moi.

— Pas peur, maîtresse ! dit-il. Zozo et Troussot près de toi.

— Et Antoinette, fis-je, connais-tu ceux qui la gardent ?

— Maîtresse, sont bons.

Je ne sais pourquoi je baisai au front le petit nègre, qui, à son tour, me lécha la main. Cette venue de l’obscurité m’apporte presque chaque jour un frémissement extraordinaire de tendresse, d’effroi. Je me