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LA VENGEANCE D’UN INCONNU


temps à autre aux ciels du soir de ces courtes et dolentes mélopées africaines, qui semblent, plutôt qu’un chant développé, un soupir d’exil, un appel aux grandes forêts de ténèbres, à la mer endormeuse de là-bas.

Chaque mois, Dubousquens, laissant le soin de ses affaires à son premier commis Jumilhac, feignait de s’absenter de Bordeaux quelques jours. Il allait simplement s’enfermer dans son hôtel de la Porte du Palais. Il n’y recevait personne. Jumilhac lui-même, que seul on avait mis dans le secret, avait défense, sous quelque prétexte que ce fût, de venir l’y chercher.

Dans la ville, Dubousquens était aimé du peuple, auquel il faisait de larges aumônes ; envié des riches, à cause de sa grande fortune. On ne manquait pas de commenter cette retraite et d’essayer d’en soulever le voile. « Pauvre homme ! disait-on, avec plus ou moins de pitié et de raillerie, il a été si malheureux, il tente de se consoler. — Il se vengerait plutôt, répliquaient les autres. Le négociant n’est peut-être point l’homme paisible qu’il veut paraître. »

Et l’on racontait qu’il s’élevait souvent, de la maison mystérieuse, des lamentations, des hurlements sauvages. Quelqu’un disait avoir assisté, à la faveur des fenêtres ouvertes, à une horrible scène. Dubousquens frappait de toute sa force la jeune noire. On entendait au milieu des sanglots, des coups sourds sur les os ou des claques retentissantes sur la chair nue, la voix furieuse du maître : « Ah ! parle donc