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AVEC LE TICHOU LAMA.

regardois comme un obstacle presque insurmontable les ordres de l’empereur de la Chine, qui obligeoient ses gardiens à le tenir dans la retraite la plus absolue, et leur défendoient indistinctement d’admettre qui que ce fût en sa présence, même les dévots qui viendraient de loin pour le voir. Cependant le râdjah ayant égard à votre

* « Talaï signifie mer [ou grandeur sans bornes], » Hist. de la Tatârie par le P. Visdelou, t. IV, p. 136, de la Bibliothèque orientale, édition in-4.° de Hollande.

    qui voit tout, Quoique ce savant missionnaire déclare avoir tiré cette explication d’un livre chinois qu’il avoit sous les yeux au moment même où il écrivoit, je la crois bien moins juste que la précédente, qui repose sur un fait positif*. Les innombrables sectateurs de la religion de Fo regardent ce grand-prêtre comme Fo vivant, et comme immortel ; ils croient qu’il ne quitte un corps que pour en habiter un autre, qui est ordinairement celui d’un jeune enfant, que les Lamas tiennent toujours prêt pour remplacer le défunt. Les respects qu’ils lui témoignent vont jusqu’à un culte et à une adoration sur la sincérité desquels On pourroit bien avoir quelque doute, si l’on ne voyoit pas chaque jour, dans des pays plus policés, plus éclairés que le Tibet et la Tatarie, des hommes instruits, et même penseurs, trembler devant l’ouvrage de leurs mains. Les grands et les souverains même de la Chine et de la Tatârie ne se montrent pas moins respectueux que les Lamas envers le Talaï Lama ; ils se prosternent devant lui, et lui rendent, ou par eux-mêmes ou par leurs ambassadeurs, un véritable culte. Cet homme-dieu fait sa résidence dans un monastère bâti sur la montagne de Poutafa, auprès de Lhassa, capitale du Tibet. L’histoire de la religion de Bouddha, et celle du Tibet, nous sont trop peu connues, pour que nous cherchions à découvrir l’époque de l’établissement de ce sacerdoce, que je crois, au reste, bien antérieur au brâhmanisme. Brâhmah, selon moi, n’étoit qu’un Bouddhiste hérétique. Mais, sans nous engager ici dans des discussions et des recherches superflues, bornons-nous à observer, d’après le P. Georgi, que ce fut vers l’an 1100 que la dignité de Grand Lama fut réunie à celle de monarque, dans la personne de Kang-ka-gnin-bò. Il reçut, pour marque de son investiture, un sceau d’or et un diplôme royal, de la part de l’empereur de la Chine, dont le Tibet a presque toujours été dépendant. Avant cette époque, le Tibet étoit gouverné par des rois séculiers. Depuis, les Grands Lamas, tristes jouets du caprice des empereurs chinois, ou des cabales de la cour, ont été alternativement revêtus et dépouillés de l’autorité royale. Le Grand Lama actuel en jouit encore, mais seulement pour la forme ; car la vie claustrale qu’il mène, la fréquence et la longueur des minorités, ont obligé son suzerain à lui adjoindre une espèce de régent, nommé Ti-pa par les Chinois. Comme le gouvernement du Tibet est entièrement théocratique et sacerdotal, le Tipa porte l’habit religieux, et s’occupe beaucoup d’exercices de dévotion ; en outre, il ne jouit pas, à beaucoup près, d’une autorité égale à celle du second Lama, que M.  Turner nomme Tichou Lama, et que les Chinois, ainsi que les missionnaires, appellent Pantchan La-ma. « C’est, suivant M.  Amiot, la » seconde personne du Tibet, et de toute la