Page:Reclus - Étude sur les fleuves, 1859.djvu/12

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failles qu’ont ouvertes les tremblements de terre ou les lentes oscillations de la croûte terrestre ; elle dissout et divise grain de sable par grain de sable le rocher que rien n’avait encore ébranlé. Les montagnes qui barrent leur cours n’ont pour elles que la dureté et l’épaisseur ; mais les eaux ont la loi immuable de la pesanteur et le nombre infini des siècles. Après des millions d’années, elles se fraient enfin un passage, et traversent la montagne ou le plateau, laissant derrière elles une plaine recouverte d’alluvions fertiles, nouveau domaine conquis désormais à l’humanité. C’est ainsi que le fleuve des Amazones a formé ce magnifique défilé ou pongo de Manzeriche, en minant si profondément les rochers qu’une grande partie des eaux et tout le bois flottant du haut Marañon s’engloutissent dans les abîmes mystérieux creusés au-dessous des montagnes. C’est ainsi que le Danube a desséché l’un après l’autre les cinq bassins successifs qu’il traverse et qui formaient autrefois cinq lacs semblables à ceux du Saint-Laurent. De même aussi le Rhin, ce fleuve que Ritter appelle le fleuve héroïque, a traversé dans toute sa longueur une chaîne de montagnes dont on ne voit plus maintenant que les culées restées en place, d’un côté les Vosges, de l’autre la forêt Noire. Les grands lacs de l’Amérique du Nord ne se dessèchent-ils pas sous nos yeux ? La cataracte du Niagara ronge incessamment les rochers du haut desquels elle tombe, et recule vers le lac avec une vitesse qu’on a pu calculer à quelques milliers d’années près. À mesure que la cataracte s’éloigne du lac Ontario, elle diminue de hauteur parce que la couche rocheuse du haut de laquelle elle se