Page:Reclus - Amis et compagnons, 1906.djvu/7

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« portée de vipères » accueillit ces faméliques à coups de fusils et de mitrailleuses, puis à côté des cadavres d’ouvriers d’autres salves couchèrent des femmes, des bourgeois, des groupes de ces intellectuels qu’abhorrent les ignorants d’en haut, puis des enfants qui jouaient au cerceau.

Certes on ne peut imaginer de spectacle plus horrible, et cependant là aussi, dans cette lugubre jonchée sanglante, nous voyons surgir l’image du Vengeur. Qu’on le reconnaisse ou non, Petersbourg est devenu, comme Paris, une cité révolutionnaire, et toutes les autres villes russes sont entraînées dans le mouvement. La vieille Russie n’est plus qu’« un vase brisé », tel que l’a décrit le poète académicien. Sans doute on essaiera de cacher la fêlure par de savants enduits, et les bons prêteurs pleins de sollicitude pour le sort de leurs millions, les journalistes de commande et les diplomates de métier, enfin les gouvernements « amis et alliés » ne manqueront pas de vanter l’intégrité de la vaisselle brisée, n’importe ! nous voyons la cassure, et l’histoire nous montre déjà l’empire gisant en misérables tessons. La Russie de demain ne ressemblera point à celle d’hier : les populations opprimées savent maintenant que le ci-devant Batouchka, le maître lointain, inconnu, mystérieux, qu’ils appelaient le « Petit Père », n’est plus qu’un maître, un tchinovkik, comme les autres ; la clarté s’est faite dans leur esprit, et la Révolution future se prépare dans le secret de leur pensée.

Le grand problème qui se présente devant l’histoire est relatif à l’ampleur que prendra cette révolution, car si les évènements qui se succèdent de contrée en contrée et de siècle en