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FRANCE.

au pied du mont Saint-Clair ; il fit aussi la Camargue et l’agrandit sous nos yeux par les 21 millions de mètres cubes de limon qu’il traîne annuellement à sa suite, boue capable de déposer cent hectares de terre dans vingt et un mètres de mer. Depuis les empereurs romains, le Rhône a gagné 16 mètres par an sur la Méditerranée, et constamment il forme de nouveaux teys, îlots d’alluvions autour du moindre point d’attache, sous-roche, piquet, tronc d’arbre, épave ou carcasse de navire.

La Camargue ou delta du Rhône, entre le Grand Rhône, le Petit Rhône et la Méditerranée, ne porte aucune colline sur les 75 000 hectares dont elle a diminué les eaux bleues : où le flot n’entourait pas d’îles, la moderne alluvion n’environne pas de coteaux. Les berges, les levées des deux fleuves, les talus des ruisseaux et des tranchées, les rives des étangs, sont les seuls ressauts de ce marais mélancolique où le mistral secoue des arbres verruqueux et des plantes amères, filles d’un limon salé.

La France n’a pas su profiter encore de ce cadeau fait par le Rhône au nom des Alpes, du Jura, des Cévennes. À cette Hollande quelque peu méridionale, et par cela même plus féconde mais aussi plus malsalubre que la vraie Néerlande, il manque les Néerlandais, ces hommes-castors qui ont retiré des eaux deux pays : en Europe, leur propre Hollande, et sous un ciel plus chaud, dans l’Amérique du Sud, la Guyane vaseuse où dorment les criques du Surinam. Nous possédons ici plus de terreau que dans tel de nos grands départements, mais ces terres sont presque toutes salées : ce qui n’aurait pas lieu si les Rhônes laissés à eux-mêmes, inondaient comme jadis la Camargue une ou plusieurs fois par an. Depuis l’établissement des aigues, ils n’ont que rarement l’occasion de laver le marais provençal ; il leur faut pour cela des crues exceptionnelles. Quant aux étangs, ils pourrissent, ayant cessé d’être avivés par l’eau du fleuve qui en renouvelait les flots, en même temps qu’il les comblait peu à peu. Et, pour ne rien céler des malheurs de ce delta,