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GÉOGRAPHIE.

temps féodaux, il mourut avec eux. Après avoir crié Montjoie Saint-Denis, l’oriflamme au vent, sous les murs de Jérusalem, de Constantinople, de Damiette, de Tunis, et couvert de baronnies franques la Syrie, la Grèce et les îles, il fallut rentrer battus en « douce France », et de tout ce long fracas d’armes il ne resta qu’un vain souvenir, des poèmes de prouesse et quelques robustes châteaux qui sont les Coucy de l’Orient. Puis, avec les Valois, la fatalité s’assit sur le trône de France. À force de reculer devant les Anglais alliés aux Gascons, il vint un jour où nous ne fûmes plus que le royaume de Bourges. Pendant cent ans et plus de batailles perdues, de villes forcées, de moissons en flammes, sous l’accablement des sept plaies d’Égypte, en ce siècle de peste noire, de typhus, de folie, de névrose, de famine, étranglée par ses propres fils, n’attendant plus rien des hommes, rien même du Dieu des pauvres et des navrés qui semblait avoir oublié le très chrétien royaume, la France crut périr, et sa langue aussi fut profondément blessée : elle perdit le cas régime qui la rapprochait du latin pour ne garder que le cas sujet, comme l’espagnol et l’italien ; elle abandonna des termes précieux, elle en acquit de nouveaux, la plupart moins droits que les anciens et, dans le sens profond du mot, moins français, parce qu’ils sont plus latins.

D’usure en usure, le français que les jongleurs chantaient devant des seigneurs vêtus, coiffés et chaussés de fer, devint la langue de Villon, de Marot, de d’Aubigné, d’Henri IV, d’où sort directement celle que nous parlons. Et d’ailleurs, pour ne rien outrer, notre idiome est si voisin de la langue des trouvères, qu’il y a, même dans la Chanson de Roland, des vers, et presque des tirades, que peut comprendre sans effort le premier venu d’entre nous, hommes de l’an 1880.

Le français de Marot, de Rabelais, de Ronsard, de Montluc, de Montaigne, d’Agrippa d’Aubigné, d’Henri IV, était très souple, très abondant ; il fut appauvri, raidi,