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FRANCE.

glacé par de faux puristes qu’on nomma les législateurs du Parnasse. Ces tyranneaux sont morts, mais non leur tyrannie, et des milliers de mots parfaitement français n’ont pas droit de cité dans nos livres. Quand notre langue osera reprendre tous les termes qui lui appartiennent, elle doublera sa richesse ; nos vieux auteurs fourmillent de mots charmants, vifs, brefs, naïfs, pittoresques, pleins de suc, que nous regrettons amèrement, que notre devoir est de reprendre.

Le français rachète son indigence présente par sa grâce et par sa clarté. Il se plie à la poésie, et nomme avec orgueil des poètes que nul ne surpasse ; mais là n’est pas son meilleur domaine : il est fait pour la prose, le récit limpide, l’histoire, la science, le discours ; l’éloquence est aussi son fait, surtout celle qui a son principe dans l’esprit, la netteté, la bonne grâce : en tout cela c’est bien l’idiome supérieur, digne de sa réputation de langage le plus vif et le plus civilisé de l’Europe.

Dans le français l’harmonie abonde, harmonie discrète. Pas de rhythme accentué, nulle clarisonance, mais aussi pas de gutturales, de blaisements, de lettres zézayantes, point de consonnes amoncelées et heurtées, pas d’excès de sifflantes, rien de la cantilène méridionale, de la redondance espagnole ou des gloussements de l’anglais. Il se distingue par une juste pondération des voyelles et des consonnes et par une sainte horreur de l’hiatus, L’e muet qu’on lui reproche abonde en toute langue, même dans celles du Midi, où l’a, l’e, l’o final ne sont qu’une espèce d’e sourd écrit d’une lettre sonore : blanca se prononce à peu près blanque, et primero, c’est primère. Aussi, l’espagnol, par exemple, est-il encore plus éclatant aux yeux qui le lisent qu’aux oreilles qui l’écoutent, et de même l’italien ; nous ne disons rien du portugais, dont la nasalité dépasse toute croyance.

Il est des étrangers qui viennent au Théâtre-Français pour la seule musique de la parole qui tombe de la scène. Parmi ceux d’entre nous, point nombreux, qui