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FRANCE.

diversité d’accent, et çà et là de vieux mots, souvent précieux, que les patois ont gardés, que le français a méprisés follement. Bientôt toute cette langue d’oc n’aura laissé d’elle que l’accent dit méridional, qui perpétuellement change en iambes les spondées du parler français.

Les deux tiers des Français parlent la langue du Nord, avec plus ou moins de vivacité, et surtout de lourdeur dans l’accent. On admet dans les livres que le pays d’oil s’arrête à la Loire. Il n’y a pas de plus grande erreur : en aucun point de son cours ce fleuve ne sépare le langage du Nord des patois du Midi ; sur la route de Paris à Bordeaux, le dernier village d’oil, les Billaux, touche Libourne, à plus de 300 kilomètres au sud de la Loire devant Tours. Poitiers, Napoléon-Vendée (la Roche-sur-Yon), la Rochelle, Niort, Angoulême, sont en pleine terre d’oil : cette dernière ville est même célèbre dans le Sud-Ouest par la pureté de son accent.

Ainsi nos patois s’en vont, et plus vite encore les mœurs, les originalités, les costumes. Comme le seul anglais prend la place des idiomes indiens de l’Amérique du Nord, terre franco-canadienne à part, comme l’espagnol et le portugais dévorent chaque année quelque vocabulaire de l’Amérique du Sud, les langues des peuples colonisants finiront en tout pays par étouffer les autres. Dans quelques siècles on ne parlera sans doute que l’anglais, le russe, l’espagnol, le portugais, le français, l’hindoustani, le chinois, peut-être l’arabe. Pourvu qu’au lieu de toutes ces langues, dont chacune a sa beauté, il ne se forme pas, comme un sédiment se fait d’alluvions, un patois sans harmonie, sans poésie, sans noblesse, sans flexibilité, sans grâce, une langue franque, un sabir, un papamiento né du concours de tous les commerçants et de tous les marins du Globe ! Alors, quand les coutumes, les sangs, les idiomes se seront banalement mêlés, il ne restera que deux sortes d’hommes, l’homme du Nord et l’homme du Midi : si