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FRANCE.

cent ans ; les Allemands ont triplé leur race en Allemagne même, en dépit d’un prodigieux épanchement d’émigrants ; et au delà du fossé dont une eau salée sans profonds abîmes ronge les falaises de craie, l’Angleterre, plus exubérante encore, colonise une partie de l’univers.

C’est que la France, jadis féconde, a cessé de l’être.

On soupçonne la cause principale de sa lenteur d’accroissement.

En France, la propriété n’est pas fixée dans quelques milliers de familles ; tous y ont accès, les enfants se partagent l’avoir paternel, généralement à lots égaux, et chez nous l’aîné ne spolie pas les puînés par droit de primogéniture. La majorité de la nation se compose de paysans maîtres du sol qu’ils retournent, et peu de ces campagnards connaissent la vraie misère, celle de l’Irlande et de la « libérale Angleterre », où il n’y a pas de paysans, mais seulement des seigneurs, des fermiers et des journaliers.

Ces lois sont l’équité même, et cependant elles pèsent lourdement sur la France : nous leur devons d’être un peuple stérile.

Dès que l’homme a sa vigne, son pré, son bois, son ruisseau, dès qu’il a fondé son royaume ou qu’il l’a mené jusqu’à la haie, jusqu’au fossé de ses vœux, il ressemble au conquérant qui redoute le démembrement de son empire. Il appréhende alors la famille qui, lui mort, dispersera son domaine. Heureux s’il n’a que des fils, héritiers de son nom ! Quand il a des filles, son clos passe à quelque étrangère lignée, dynastie sans durée comme sa devancière et comme toutes celles qu’elle précédera. Tous ces « royaumes » se brisent ou tombent en quenouille : histoire obscure et sans unité que celle de ces terres errant de maître en maître pour la fortune des hommes de loi. Les domaines devraient vivre des siècles, ils ne vivent que des années sans qu’une famille y laisse et sa trace et son nom. Que de Français n’ont pas de