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GÉOGRAPHIE.

maison paternelle, soit qu’ils aient vu le jour dans le flottant caravansérail d’une ville aux rues passagères, soit que déjà la demeure natale ait changé de seigneur !

Ainsi nous bâtissons éternellement sur le sable.

Telle est la grande cause de l’infécondité de nos campagnes. L’excès du célibat, l’armée, les ordres ecclésiastiques sont tout à fait secondaires : telle race fertile a plus de célibataires que nous ; le recrutement pèse autant sur l’exubérante Allemagne et sur la grouillante Russie que sur la France ; enfin le Bas-Canada, sans rival pour la puissance des familles, donne au clergé la dîme de son sang : nulle nation, relativement, ne voue plus d’enfants à l’église, prêtres, nonnes et moines, peuple en dehors du peuple ; mais pourquoi le flétrir ? il y a, chez les hommes noirs et les pauvres filles, des cœurs chauds, des âmes dévorées d’idéal, et aussi des coupables pleurant leur faute : Quidquid peccatur lacrymarum fonte lavatur !

Aussi ne sort-il que peu d’enfants de la plupart de nos chaumières, disons de nos maisons des champs, puisque nos paysans sont riches, sauf dans les sols très indigents, sur certains plateaux et diverses montagnes. Qui sait combien de villageois regardent d’un œil louche les fils qui partageront leur enclos ? L’enfant supplémentaire entre dans la famille en étranger, presque en ennemi : la mère l’aimait déjà, mais le père le subit, il ne l’avait point désiré. Nos villes non plus ne sont pas fécondes et les mères n’y sont pas maternelles ; l’enfant naît à peine qu’il part en vagon pour la campagne, et souvent il n’en revient pas ; il y dépérit sur le sein mercenaire, par la négligence, l’avarice, la brutalité des faiseuses d’anges, comme on a nommé les nourrices sans amour pour leurs nourrissons. Heureusement qu’il nous reste, surtout dans les montagnes, des familles qui vont droit devant elles et qui croissent, pour leur propre force et pour l’honneur de la France.

Presque partout en plaine nous nous maintenons tout