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HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

amour du foyer natal ; mais, tôt ou tard, le péril devient imminent, il faut émigrer en toute hâte, emporter les objets précieux et laisser la maison en proie aux neiges suspendues.

Dans chaque village des monts, on se raconte aux veillées la terrible chronique des avalanches, et les enfants écoutent en se blottissant contre les genoux des mères. Ce que le feu grisou est pour le mineur, l’avalanche l’est pour le montagnard. Elle menace son chalet, ses granges, ses bestiaux ; elle peut l’engloutir lui-même. Que de parents, que d’amis il a connus, qui dorment maintenant sous les neiges ! Le soir, quand il passe à côté de l’endroit où la masse énorme les a engouffrés, il lui semble que la montagne d’où s’est détachée l’avalanche le regarde méchamment, et il double le pas pour s’éloigner du lieu sinistre. Quelquefois aussi, les débris de l’écroulement lui rappellent la délivrance inespérée d’un camarade. Là, pendant une nuit de printemps, s’abattit un talus de neige plus haut que les grands sapins et que la tour du village. Un groupe de chalets et de granges se trouvait sous la formidable masse. Sans doute, pen-