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LES SOMMETS ET LES VALLÉES.

massif primitif de la montagne. On les voit, pour ainsi dire, sculpter incessamment la masse énorme pour en emporter les débris, en niveler la plaine, en combler une baie de la mer. Je la distingue aussi, cette baie, du haut du sommet gravi ; là s’étend ce grand abîme bleu de l’Océan, d’où la montagne est sortie, où tôt ou tard elle rentrera !

Quant à l’homme, il est invisible ; mais on le devine. Comme des nids à demi cachés dans le branchage, j’aperçois des cabanes, des hameaux, des villages épars dans les vallons et sur le penchant des monts verdoyants. Là-bas, sous la fumée, sous une couche d’air vicié par d’innombrables respirations, quelque chose de blanchâtre indique une grande cité. Les maisons, les palais, les hautes tours, les coupoles, se fondent en une même couleur rouilleuse et sale, contrastant avec les teintes plus franches des campagnes environnantes : on dirait une sorte de moisissure. On songe alors avec tristesse à tout ce qui se fait de perfide et de mauvais dans cette fourmilière, à tous les vices qui fermentent sous cette pustule presque invisible ; mais, vu de la cime, l’im-