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HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

la population donnera la mesure de son propre idéal. Si elle a vraiment le sentiment du beau, elle rendra la nature plus belle ; si, au contraire, la grande masse de l’humanité devait rester ce qu’elle est aujourd’hui, grossière, égoïste et fausse, elle continuerait à marquer la terre de ses tristes empreintes. C’est alors que le cri de désespoir du poète deviendrait une vérité : « Où fuir ? la nature s’enlaidit. »

Quel que soit l’avenir de l’humanité, quel que doive être l’aspect du milieu qu’il se créera, la solitude, dans ce qui reste de la libre nature, deviendra de plus en plus nécessaire aux hommes qui, loin du conflit des opinions et des voix, veulent retremper leur pensée. Si les plus beaux sites de la terre devaient un jour être seulement le rendez-vous de tous les désœuvrés, ceux qui aiment à vivre dans l’intimité des éléments n’auraient plus qu’à s’enfuir dans une barque au milieu des flots, ou bien à attendre le jour où ils pourront planer comme l’oiseau dans les profondeurs de l’espace ; mais ils regretteraient toujours les fraîches vallées des monts, et les torrents jaillissant des neiges inviolées, et les