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L’HOMME.

pyramides blanches ou roses se dressant dans le ciel bleu. Heureusement, les montagnes ont toujours les plus douces retraites pour celui qui fuit les chemins frayés par la mode. Longtemps encore on pourra s’écarter du monde frivole et se retrouver dans la vérité de sa pensée, loin de ce courant d’opinions vulgaires et factices qui troublent et détournent jusqu’aux esprits les plus sincères.

Quel étonnement, quelle déshabitude de tout mon être, lorsque, franchissant le seuil du dernier défilé de la montagne, je me retrouvai dans la grande plaine aux lointains indistincts et fuyants, à l’espace illimité ! Le monde immense était ouvert devant moi ; je pouvais aller vers le point de l’horizon où me portait mon caprice, et cependant j’avais beau marcher, il ne me semblait point changer de place, tant la nature environnante avait perdu son charme et sa variété. Je n’entendais plus le torrent, je ne voyais plus les neiges ni les rochers, c’était toujours la même campagne monotone. Mes pas étaient libres, et pourtant je me sentais bien autrement emprisonné que dans la montagne ; un arbre seul, un simple