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HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

les tassements, les érosions prennent de telles proportions, que la montagne entière semble vouloir s’affaisser et prendre le chemin de la plaine. Un jour de douce et humide chaleur, je m’étais aventuré dans une gorge de la montagne, pour en revoir encore une fois les neiges, avant que les eaux printanières les eussent emportées. Elles obstruaient toujours le fond du ravin, mais en maint endroit elles étaient méconnaissables, tant elles étaient recouvertes de débris noirâtres et mélangés de boue. Les roches ardoisées qui dominaient la gorge semblaient changées en une sorte de bouillie et s’abîmaient en larges pans ; la fange noire qui suintait en ruisseaux des parois du défilé s’engouffrait avec un sourd clapotement dans la neige à demi liquide. De toutes parts, je ne voyais que cataractes de neige souillée et de débris ; instinctivement, je me demandais, avec une sorte d’effroi, si les rochers, se fondant comme la neige elle-même, n’allaient pas s’unir par-dessus la vallée en une seule masse visqueuse et s’épancher au loin dans les campagnes. Le torrent, que j’apercevais çà et là par des puits au fond des-