Page:Reclus - Histoire d’un ruisseau.djvu/216

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une vasque profonde du torrent où coulent les premières eaux du ruisseau, dans la gorge des montagnes. Le flot, qui paraît glacial, même au simple regard, est de la neige à peine fondue qui ne s’est point encore adoucie en absorbant de l’air en abondance ; elle garde toute sa crudité première, et sa couleur d’un bleu dur a je ne sais quoi d’hostile. D’avance on frémit ; toutefois, ce n’est pas seulement de frayeur, c’est aussi de désir, et tout animé par la marche et la fatigue de l’ascension, on se jette avec volupté dans l’eau glacée. Les roches, les sables du fond brillent en jaune pâle à travers l’épaisse couche liquide ; mais en quelques brassées, on se trouve déjà au-dessus de l’abîme ; l’eau transparente ressemble à de l’air condensé, et cependant on ne voit plus de fond ; on se croirait suspendu dans le vide et l’on nage avec précaution comme si tout à coup on devait s’engouffrer. Puis le froid vous saisit, vous étreint de plus en plus et d’un élan vous allez rejoindre la rive pour rappeler en vous