Page:Reclus - Histoire d’un ruisseau.djvu/225

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nos camarades d’un moment s’enfuyaient pour aller reprendre leurs habits rouges et leurs boutons numérotés, et bientôt nous les vîmes s’éloigner marchant en rang et au pas sur la route poudreuse.

Depuis j’ai vu, sous d’autres climats que celui de la France, combien l’hostilité diminue tout d’un coup entre des ennemis qui viennent de se dépouiller des vêtements sous lesquels ils ont pris l’habitude de se voir et de se haïr. C’était près d’une ville de la côte de Colombie, à la bouche d’un profond ruisseau, qu’un étroit banc de sable où déferlent incessamment les vagues, sépare de l’océan. Chaque matin, des centaines d’individus appartenant à deux races presque toujours en guerre se rencontraient à cette embouchure de ruisseau. D’un côté, c’étaient les descendants plus ou moins mêlés des Espagnols, qui venaient faire leurs ablutions quotidiennes ; de l’autre, c’étaient les Indiens qui profitaient d’une trêve pour se rendre au marché de la plage. De rive à rive, on se jetait