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l’homme et la terre. — chrétiens

commencé dans les couches profondes ; si la ruée des barbares finit par détruire la structure politique de l’immense domaine, c’est que la ruine se préparait depuis longtemps dans l’intérieur du grand corps : il se lézardait, craquait, se descellait, se fissurait dans tous les sens, en attendant le travail de sape qui devait un jour le miner et le renverser avec fracas.

Sur les frontières nord de l’Empire, il ne se mêlait aucune préoccupation religieuse aux guerres dont les marches étaient l’enjeu, mais vers l’Orient, tandis que les Parthes disputaient aux Romains la possession matérielle de l’Asie antérieure, de subtils dogmes se glissaient à la fois dans les imaginations des patriciens de Rome, condamnés à une fastueuse oisiveté, séduits par toutes les nouveautés étranges, et dans les cœurs des esclaves et des prolétaires, avides de toute doctrine parlant de justice et de réparation. La conquête romaine elle-même brisait les anciens cadres et faisait entrer les croyances monothéistes dans la circulation méditerranéenne.

De toutes les religions orientales qui entraînèrent la désagrégation graduelle de la société romaine et la mélangèrent avec les masses envahissantes des barbares, la plus efficace dans son œuvre de destruction fut la religion chrétienne, dont le triomphe alla jusqu’à faire disparaître tous les autres cultes, soit en se les incorporant, soit en les extirpant par le fer et par le feu. Naturellement, cette religion, de même que toutes celles qui l’ont précédée et toutes celles qui l’ont suivie, eut de multiples origines chez tous les peuples qui participèrent à son évolution, mais la légende en ramène la naissance miraculeuse à un seul point de la terre, Betlhéem, et à un seul homme, Jésus, qui d’ailleurs n’est point un personnage historique. Aucun document authentique ne témoigne de son existence ; cependant l’apostolat de Paul, venant si peu de temps après la période attribuée à Jésus-Christ, et certains traits, bien personnels, certaines paroles bien humaines et d’une évidente sincérité, que nous rapportent les Évangiles, ne permettent guère de douter qu’il y ait eu en Judée un prophète Jésus entraînant après lui de nombreux disciples.

Ou plutôt, il n’y eut pas un Jésus unique ; il y en eut probablement plusieurs. Tous ceux dont le nom et la vie s’encadraient facilement dans une figure légendaire y prirent place. Le personnage de Yechou, c’est-à-dire du « Sauveur », représente tout un cycle comme