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l’homme et la terre. — chrétiens

le fait aussi Galiléen, fils de la ville méprisée de Nazareth, ce qui permettait aux demi-païens, aux vagues convertis étrangers de le revendiquer comme l’un des leurs, et ce qui autorise de nos jours les antisémites à voir dans la personne de Jésus un authentique Aryen[1]. D’autre part le fils de Marie n’est-il pas quelque peu un Égyptien ? C’est grâce au séjour qu’il fit sur les bords du Nil pendant toute son enfance qu’il put revenir plein de science et confondre les docteurs du temple dès sa première rencontre avec eux. D’après l’Évangile de saint Jean, Jésus est aussi un philosophe platonicien : il est le Verbe, la parole créatrice, le « monde, représentation de la volonté ».

En sa personne, Jésus est le type contradictoire des deux extrêmes : il est à la fois le « Fils de l’Homme » et le « Fils de Dieu ». Depuis que le christianisme est devenu religion officielle, ce n’est pas seulement comme Fils de Dieu, c’est comme Dieu, comme Maître universel et Juge des Vivants et des Morts qu’apparaît le fondateur prétendu du culte qui porte son nom. Son image rayonne désormais du haut des cieux : les prêtres qui l’adorent, et qui tendent naturellement à se faire adorer, n’ont eu d’autre souci que de se grandir infiniment par son ascension divine. Mais dans la première période de l’évolution chrétienne, Jésus était surtout le Fils de l’Homme, un homme pauvre et humble, un fils de charpentier, condamné à mourir de la mort des esclaves, un compagnon des recors et des prostituées, qui ne « savait où reposer sa tête »[2]. C’est parce qu’il connaissait les misères et les humiliations du pauvre que les pauvres écoutèrent sa parole, il eut avec lui les femmes méprisée que l’on voulait lapider et dont il détournait les pierres, et tous ceux qui souffraient trouvaient en lui leur interprète auprès de Dieu parce qu’il était l’un des leurs. Avec lui les revendications sociales prenaient corps, devenaient un individu vivant, en chair et en os, et concentraient en lui tous les espoirs de justice accumulés pendant le cours des siècles chez tous les malheureux, juifs ou gentils. Car de tout temps les passions religieuses n’ont été que secondaires en comparaison de la poussée du peuple vers le bien-être : les porteurs de la « Bonne nouvelle » étaient ceux qui promettaient aux pauvres la possession de la terre et la paix en abondance. Les

  1. Edmond Picard.
  2. Évangile selon saint Mathieu, ix, 11 ; viii, 20.