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l’homme et la terre. — barbares

sol où l’exode primitif, les chocs violents, les pressions latérales et les remous les avaient entraînées, et à reconnaître leur territoire géographique. Ensuite, chacun des groupes constitués d’une manière plus ou moins intime et solidaire par la communauté des luttes, des souffrances et des intérêts avait à prendre conscience de son individualité collective, à fondre assez complètement ses contrastes et ses diversités pour se sentir une nation. Puis une nouvelle évolution se préparait pour chacun de ces groupes distincts, celle de l’équilibre à chercher avec les autres groupes européens, et de l’idéal à trouver, sinon par leurs gouvernements, du moins par leurs penseurs.

Mais la première condition de tous les progrès ultérieurs était l’adaptation matérielle au sol et au climat. Les peuples émigrés avaient, en changeant de patrie, dû modifier forcément leur nourriture, leur boisson, leur vêtement, risquer des maladies inconnues. Les vieillards de la tribu succombaient en foule, de même que les débiles et les infirmes ; les enfants, tout particulièrement éprouvés, périssaient presque tous. La colonisation commençait toujours par un dépeuplement, même sans la mortalité causée par les batailles, les incendies, les massacres. Une fois accommodée à l’ambiance nouvelle, la race des immigrants se trouvait non seulement diminuée en nombre, mais aussi modifiée dans son essence par les croisements avec les indigènes et avec d’autres colons de provenance étrangère. Le mélange s’accroissait de génération en génération, et finalement le type originaire devenait méconnaissable. Après quelques siècles ou même beaucoup plus tôt, l’aspect des individus avait changé, souvent la langue avait disparu ; le nouveau peuple était fort distinct de l’ancien.

Les dangers à subir de la part du milieu et la rapidité de la transformation physique et morale des immigrants étaient naturellement en proportion du carré des distances entre la patrie primitive et le nouveau lieu de résidence. Les Vandales en sont un remarquable exemple. Réduits au nombre de cinquante mille guerriers lorsqu’ils arrivèrent en Afrique, ils n’auraient même pu mener à fin leurs conquêtes s’ils n’avaient eu pour alliées toutes les tribus opprimées de la Maurétanie qui avaient déjà commencé à se lever contre leurs maîtres romains : sur le terrain religieux, une secte, celle des Donatistes ou des « Montagnards », s’opposait au clergé orthodoxe, ami du pouvoir des papes ; contre les propriétaires d’esclaves eux-mêmes se groupaient