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l’homme et la terre. — seconde rome

religieuse, c’est aux immigrés qu’appartint longtemps la suprématie, c’est eux qui probablement donnèrent à ce pays le nom d’Arménie : c’était la « Terre élevée » pour les voyageurs qui venaient du sud. Des Juifs devinrent même les monarques de toute la contrée du Haïasdan, y compris la Géorgie. Il est vrai que la maison royale juive, celle des Bagratides, finit par se convertir au christianisme, trois siècles après le commencement de l’ère chrétienne, mais pendant plus de huit cents années le judaïsme avait existé dans le pays, et, quatre cent trente années durant, il avait eu la première place parmi les religions nationales. Les Aryens d’Arménie avaient donc été fortement « sémitisés » au point de vue religieux, et ceux d’entre eux qui continuaient de pratiquer le culte de Yahveh étaient, par cela même, à Bysance et dans toutes les autres villes où les menait leur vie errante, considérés comme appartenant à la race « juive ». Ainsi s’explique comment les Suzanne et les Judith, les Abraham et les David figurés par les artistes italiens des quinzième et seizième siècles présentent des caractères essentiellement aryens : front haut et vaste, nez légèrement aquilin, figure pleine, barbe abondante. C’est là un ensemble de traits qui ne rappellent nullement les vrais Sémites, tels qu’ils nous apparaissent dans leur pays d’origine, notamment dans l’Arabie septentrionale : tête étroite et haute, nez courbe et barbe peu fournie.

Peuplée d’étrangers qui se recrutaient indéfiniment, de génération en génération, dans le cercle immense de l’empire, Constantinople fournissait ainsi aux empereurs une population laborieuse, inquiète, intelligente, avide, mais, par ambition même, prête à toutes les servitudes ; il lui suffisait qu’on lui permît de s’enrichir. Les maîtres pouvaient la dominer sans remords, n’ayant pas même avec elle les liens que donne la communauté de la race et des traditions. Aussi Bysance réalisa l’idéal de la domination absolue. La monarchie prit un caractère non seulement sacerdotal, mais divin, pour ainsi dire. D’après la théorie professée officiellement, son pouvoir s’étendait sur le monde entier, embrassant les terres inconnues aussi bien que les terres connues et limitrophes ; toute indépendance était tenue pour rébellion. Hors de la sujétion, aucun peuple ne pouvait espérer ni progrès ni salut. La révolte déclarée était le crime des crimes : le coupable était frappé d’anathème et son acte s’appelait « apostasie ». Les empereurs d’Orient s’étaient même placés bien au-dessus du « droit divin » en vertu duquel