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l’homme et la terre. — chevaliers et croisés

ces troupes d’aventure, grossissant après chaque succès, dispersées après chaque désastre. Des multitudes de Flamands s’étaient enrôlés ainsi dans l’armée de Guillaume le Conquérant, et, la guerre finie, étaient restés en Angleterre, où, pendant une centaine d’années, d’autres compatriotes se succédèrent par bandes en cette nouvelle patrie. Les princes du continent louaient aussi en grand nombre les gens de Belgique, des « Brabançons », appelés également « Cotereaux » ; dans l’histoire militaire du onzième et du douzième siècles, ils eurent le même rôle que les Suisses quatre cents plus tard[1].

De même que les princes religieux cherchaient à s’emparer de la puissance civile, à accumuler les deux pouvoirs sur les âmes et sur les corps, de même les seigneurs temporels acceptaient volontiers les dignités et surtout les prérogatives ecclésiastiques. Ainsi Hugues Capet se faisait appeler « abbé » aussi bien que « comte » de Paris ; et l’on pourrait citer beaucoup d’autres exemples analogues[2]. Dans son ensemble même, la chevalerie prit un caractère religieux. Le fanatisme chrétien, uni à l’ambition, groupa les nobles en confréries qui ressemblaient à celles des moines et qui avaient aussi leurs vœux, leurs règlements et leurs rites.

Des formes d’initiation rigoureusement suivies, d’après le modèle que donnaient les chevaliers accomplis, ceux de Champagne et de Lorraine, permettaient au jeune noble d’entrer dans le corps des élus. Ainsi qu’il était d’usage pour les adolescents chez les peuples primitifs, chacun d’eux commençait par une période de rudes épreuves pendant laquelle on mettait à l’essai son courage, sa force de résistance physique, l’ingéniosité de son esprit, puis, quand on le jugeait digne d’être un homme, l’assemblée des chevaliers et des dames, convoquée d’ordinaire en un grand jour de fête, notamment à la Pentecôte, le jour où souffle l’esprit créateur, remettait au candidat les éperons d’or et d’argent, la cotte de mailles et la cuirasse ; le jeune homme, s’agenouillant au centre de la salle, recevait du plus noble des seigneurs présents les trois coups traditionnels du plat de l’épée : désormais il était homme. Se redressant, il recevait de ses égaux le baiser fraternel et s’armait du casque, du bouclier, de la lance. Le suzerain avait entendu son serment d’allégeance, les représentants de l’Eglise

  1. H. Pirenne, Histoire de Belgique, t. I, p. 134.
  2. Giambattista Vico, Scienzia Nuova, édit. française, p. 372.