Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
76
l’homme et la terre. — orient chinois

maladie des oisifs, les Chinois ont gardé la force de l’action, invincible et tenace, mais ils n’échappent point à la tristesse qui s’élève d’une nature mutilée[1].

La constitution de la famille chinoise correspond exactement à celle de la propriété : les mœurs proviennent surtout de la tenure du sol, et par conséquent se trouvent indirectement déterminées par la nature du milieu géographique, montagnes, fleuves et la répartition des terres arables. Le domaine communal, le domaine familial, pour lesquels les agriculteurs luttèrent si âprement et luttent encore, ne purent se maintenir contre seigneurs et empereurs que par l’indissoluble union de tous les intéressés. Aussi la famille se développa-t-elle puissamment, avant tout comme organe de défense, et devint-elle la molécule initiale de la nation. L’Empire tout entier, comprenant des centaines de millions d’hommes, fut censé une prodigieuse famille ayant pris, dans son ensemble et dans ses parties, le type d’une exploitation agricole. Les Chinois le comprirent eux-mêmes dès les premiers âges, car, dans leur écriture idéographique, le signe qui représente le gouvernement eut l’ « Eau courante » pour sens primitif.

La forte constitution de la famille, type de la nation chinoise, ne permet pas l’existence ou du moins la persistance du célibat. A cet égard il n’y a point de transaction. Le conseil communal demande des explications au père du jeune homme qui n’a pas encore pris femme à l’âge de trente ans : il daigne parfois accepter des excuses accompagnées d’amendes ; mais passé trente ans, le mariage est forcé, la jeune fille, âgée de vingt ans au plus, est désignée d’office, sans révolte possible. La perpétuité de la famille, tel est le but auquel tous doivent tendre : il faut à tout prix avoir des continuateurs respectueux de la lignée des ancêtres. D’ailleurs on est censé, dans toute circonstance, en référer aux aïeux, qui symbolisent la durée de la possession du sol, l’occupation persistante de la glèbe nourricière. Le fils fait spontanément hommage à son père et aux aïeux de toutes les bonnes actions qu’il peut avoir faites, de tous les mérites qu’on lui reconnaît : s’il est anobli, son titre passe d’office à toute la famille ancestrale.

Le feng-chui, qui, pendant ce siècle, a donné lieu de la part des

  1. Hervey de Saint-Denys.