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l’homme et la terre. — les monarchies

serpente la Morava, avant de se joindre au Danube. Les chemins des Alpes, partant des deux bords de l’Adriatique, la rive italienne et la rive istriote, s’unissent à Vienne, qui se trouve précisément à l’angle nord-oriental du système des Alpes proprement dites, au lieu d’arrivée dans la plaine du Danube de tous les chemins naturels descendus de la montagne : ces conditions assuraient ainsi à la ville l’avantage de surgir au point de croisement des deux grandes voies maîtresses de l’Europe centrale, la route danubienne entre Paris et Constantinople et la route moravienne entre l’Italie et le littoral baltique : de toutes les villes du continent qui servent de carrefours à des routes transversales du même genre, Vienne est certainement celle qui eut la plus grande importance historique. Depuis le moyen âge, la capitale autrichienne a encore augmenté sa puissance en devenant maîtresse du grand fleuve dont autrefois elle redoutait le trop proche voisinage.

Le treizième siècle fut pour l’Allemagne l’époque pendant laquelle le pouvoir impérial eut le moins de force et où, par une conséquence naturelle, les initiatives locales se firent le mieux sentir. Ce fut l’âge le plus heureux de la nation et jamais son développement ne fut plus rapide dans les connaissances et dans les arts. Frédéric II, dont le règne dura pendant l’espace de toute une génération (1215 à 1250), avait habitué ses peuples à se passer de lui : s’il régnait officiellement, guerroyant ou légiférant quelque part, dans le sud de l’Italie ou en Orient, la vie indépendante des cités allemandes se manifestait dans l’accomplissement des œuvres nationales. Même dans les documents publics et malgré les moines, la langue populaire devenait le véhicule de la pensée. Les poètes, qui voyagent de ville en ville et de cour en cour pour y réciter leurs chants, se rencontrent et s’instruisent mutuellement dans l’emploi d’un langage pur, harmonieux et logique se substituant aux parlers provinciaux. En même temps des hommes laborieux étudient le pays et en résument la géographie, l’histoire, les légendes, la jurisprudence. Les architectes construisent alors les édifices superbes du style ogival, qui sont encore la gloire des cités du bassin rhénan et, à un moindre degré, des autres régions allemandes. Enfin déjà commence à se préciser et à devenir conscient cet amour de la nature que ressentent si profondément les poètes de la Germanie et qui dans les derniers siècles a produit tant de belles œuvres littéraires. En pleine période de chasses et de guerres incessantes à l’animal et à l’homme, quelques forêts étaient cependant