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multiplicité des jacqueries

des campagnes aient pu supporter si longtemps sans explosion de fureur les traitements féroces auxquels les soumettait la noblesse.

cathédrale de reims. — les morts sortant de leur tombeau.
Fragment du tympan du portail du jugement.

À cette époque la guerre était un métier profitable, et les soldats mercenaires qui s’étaient engagés pour le compte des rois et grands vassaux continuaient volontiers pendant la paix les pillages et meurtres accoutumés : le nom de « brigands » sous lequel étaient désignés les gens de guerre, avec la signification d’embrigadés, eut bien vite mérité le sens sous lequel il est compris de nos jours[1]. Les « grandes compagnies », commandées presque toutes par des chevaliers de haut parage, parcouraient le pays, n’ayant d’autre souci que de piller et de dévaster, de vivre grassement de la substance des villageois et même des citadins. Certaines contrées étaient devenues inhabitables, ou du moins les paysans ne pouvaient cultiver leurs champs qu’en postant des sentinelles sur les rochers ou les tourelles de guet. Aux bords des cours d’eau, les campagnards, abandonnant leurs cabanes, allaient passer la nuit dans les îlots ou les barques ancrées au milieu du courant ; dans les pays de rochers, ils se cachaient au fond des grottes ou des carrières. Après la bataille de Poitiers, lorsque le prince de Galles eut congédié ses troupes en leur livrant comme une proie « le bon et plentiveux[2] » pays

  1. Siméon Luce, Histoire de la Jacquerie, pp. 9 et 10.
  2. Froissart, Chroniques, I, V, 190.