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l’homme et la terre. — les monarchies

de France, la dévastation prit un caractère atroce et, en certaines contrées, le travail s’arrêta complètement.

Parfois, cependant, les paysans résistaient, et des batailles rangées se terminèrent par la défaite des « compagnies de brigands ». Les manants osèrent même lutter directement contre la noblesse tout entière, car un ordre du régent, le futur Charles V, ayant mandé aux « chevaliers de France et du Beauvoisis » de mettre en état de guerre et d’approvisionnement tous les châteaux et forteresses de la contrée, les campagnards, prévoyant tout ce que leur coûterait cette restauration féodale, se soulevèrent aussitôt contre les gentilshommes, et les massacres, les « effrois » commencèrent çà et là.

Les événements qui s’accomplirent pendant la courte période de lutte ne sont guère connus que par la chronique de Froissart, simple parasite des nobles, et par les récits d’autres gens intéressés à mendier la faveur des puissants ; les « Jacques » ne sont signalés dans l’histoire du temps que par les paroles d’exécration, coutumières à ceux qui se vengent d’avoir eu peur, cherchant par de basses injures à motiver une féroce répression. L’histoire de la Jacquerie reste donc obscure dans ses détails, puisque les écrivains d’alors n’eurent d’autre souci que d’en maudire les fauteurs : mais on sait que les Jacques, armés au hasard, sans plan d’attaque, ignorants de toute stratégie et sans autre idéal que la vengeance, marchaient au hasard de la fureur. Comme les moujiks russes soulevés contre les seigneurs, ils gardaient la religion du roi et poussaient dans la bataille le cri de « Montjoie ! » sous les plis d’un étendard fleurdelisé. Ils eurent bien quelques amis dans les villes, et même on vit dans leurs rangs des chevaliers et des moines transfuges de leur classe, mais nulle alliance étroite ne se fit, comme on eût pu s’y attendre, entre les paysans insurgés contre les nobles et les communiers de Paris ou autres villes soulevées contre le pouvoir royal : il n’y eut que des entr’aides fortuites, pour ainsi dire, chaque bande tirant de son côté après accord momentané. La défaite des Jacques, de même que celle des communiers, était donc fatale, puisqu’ils séparaient leurs forces contre des rivaux réconciliés, royauté et noblesse.

La Jacquerie, commençant le 21 mai, près de Compiègne, se terminait le 10 juin, près de Clermont, à une trentaine de kilomètres à l’ouest ; mais à « l’effroi » qui avait fait trembler les seigneurs,