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l’homme et la terre. — les communes

nales, si énergiquement revendiquées et défendues, l’âge qui vit naître la merveilleuse floraison des ogives, des rosaces et des flèches peuvent ils être confondus sous un même terme de langage méprisant avec les temps de l’ignorance et de la grossièreté barbares pendant lesquels les peuples se reprenaient lentement à la vie ? Evidemment les historiens auront à prévenir, par une terminologie nouvelle, la confusion qu’entraine ce mot de moyen âge appliqué improprement à deux époques différentes.

L’esprit de liberté, qui est le souffle de la vie et cherche sans cesse et partout à se faire jour, devait profiter du mouvement des Croisades. Le départ des seigneurs, avec soudards et gens d’armes, fut un grand allègement pour la plupart des sujets. Sans doute, princes, barons et vassaux avaient commencé par faire rendre aux taxes et aux impôts divers tout ce que la violence et l’astuce pouvaient extorquer à la population malheureuse ; ils laissaient leur pays appauvri, exsangue ; mais ils partaient enfin ; on voyait au loin disparaître leurs pennons dans le poudroiement des routes ! Et puis les maîtres n’avaient-ils pas été obligés par la dure nécessité du moment à faire de belles promesses, à concéder même de réels privilèges aux manants pour qu’ils respectassent les terres féodales et les châteaux pendant l’absence des garnisons, pour qu’ils obéissent bien dévotement aux gentes châtelaines et à leurs fils encore sans épées ! Conscients des réalités qu’ils laissaient derrière eux, beaucoup de seigneurs partaient à contre-cœur, mais, cédant à l’entraînement des foules, ils prenaient quand même la tête de leur contingent.

La plèbe des campagnes, les artisans des villes eussent pu songera venger les souffrances d’autrefois, du moins reprenaient ils partiellement leur autonomie et poussaient ils l’audace jusqu’à gérer quelque peu leurs affaires. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, les capitouls de Toulouse, représentant la bourgeoisie de cette ville, prirent graduellement la haute main dans l’administration de la commune durant l’absence de leur comte ; une transformation analogue s’accomplit dans toutes les autres cités de la contrée : le comté devint en fait une fédération, formée d’un grand nombre de petites républiques réunies sous l’honorifique protectorat du comte féodal. Lorsque Ramon ou Raymond V mourut en Orient, après avoir fondé le royaume de Tripoli, qu’il laissait à son fils aîné Bertran, la veuve, qui revint à Toulouse avec son jeune fils Alphonse Jourdain (n’Anfos Jordan) — ainsi surnommé d’après la rivière dans