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dithmarschen, frisons et flamands

même, lorsque les terres des Flandres, jadis périodiquement recouvertes par les eaux et dévorées en partie par une terrible inondation en 1170, eurent été asséchées, les comtes, n’ayant désormais plus de difficulté à les faire maintenir en bon état sous la direction, d’ailleurs inutile, d’intendants, de watergraven, dijkgraven ou moormeesters, lâchèrent de gouverner plus directement ces terres exondées ; même, grâce à l’exemple qui leur avait été donné par les paysans initiateurs, ils purent accroître, çà et là, l’étendue de leurs domaines palustres : c’est ainsi que Philippe d’Alsace, au douzième siècle, fit élever la grande digue du Zwyn et se vante dans ses chartes d’avoir desséché à ses propres frais de vastes territoires[1]. Cependant la forme des anciennes républiques communautaires se conserva longtemps et s’est encore perpétuée sous le nom de wateringen, wateringues ; du moins ces syndicats de paludiers ont-ils le reflet de leur passé glorieux.

D’ailleurs, lorsque ces conquérants des limons, ces créateurs de prairies et de terres arables se trouvèrent, dans leur propre pays, atteints par le pouvoir des seigneurs, ils se hasardèrent loin de leurs embouchures fluviales pour aller conquérir d’autres terres ou des estuaires étrangers. Connaissant leur force, ils ne craignaient aucune rivalité. Dès le début du xiie siècle (en 1106), et surtout pendant les deux générations suivantes, on voit des colonies de dessécheurs et de cultivateurs flamands former des républiques itinérantes. Elles s’emparent des marais du pays de Brème, et, çà et là, des bords de l’Elbe, elles poussent jusque dans le Holstein, jusqu’aux rives de l’Oder, où maintes campagnes gardent, depuis des siècles, le système de digues et l’assolement qui leur avaient été donnés alors, et où quelques restes des coutumes et du droit flamands étaient toujours reconnaissables avant la révolution de 1848[2]. D’autres bandes pénètrent également en France : on les voit à l’œuvre sur les rives de la Somme et de la Seine, de la Sèvre, de la Charente et de la Gironde, jusque dans les Landes. De « petites Flandres » parsèment, de Dunkerque à Rayonne, tout le littoral français. En Angleterre et en Écosse, on trouve aussi des vestiges d’établissements flamands ; des noms, tel Fordd Fleming, dans le sud du Pays de Galles, des usages locaux, des parlers différents, la vie distincte de certains habitants révèlent l’origine étrangère[3].

  1. H. Pirenne, Histoire de la Belgique.
  2. Avendt, Des Colonies flamandes dans le nord de l’Allemagne.
  3. Howard Read, Journ. of the Manchester Geog. Society, 1903.