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l’homme et la terre. — les communes

De même que les bras de mer, les vases et les marécages, les forêts épaisses, les défilés, les rochers, les âpres montagnes et les neiges, en un mot, tous les obstacles de la nature rendant l’attaque difficile et facilitant la défense protégeaient des communautés restées libres en dépit des guerres féodales. C’est ainsi qu’au cœur de leurs hautes vallées des Alpes, les Vaudois purent se maintenir à l’écart pendant des siècles ; on les y eut même oubliés si la nécessité de vivre n’eût forcé nombre d’entre eux de descendre annuellement de leurs cimes pour exercer quelque travail ou commerce fructueux dans les villes des plaines environnantes. Parmi les contrées réellement indépendantes, il en était d’ailleurs d’officiellement revendiquées par des seigneurs féodaux et qui, suivant les traités et les conventions, se distribuaient à tel ou tel maître suzerain, mais n’en formaient pas moins des groupements autonomes, bien protégés par leurs forêts et leurs montagnes, n’ayant d’autre lien de dépendance envers le personnage officiel, comte, duc ou baron, que l’hommage annuel de quelques produits de leur industrie et des formules polies de bonne amitié.

Ainsi, d’après les documents du moyen âge, la Suisse fut censée appartenir alternativement à l’empire germanique, au royaume d’Arles, puis de nouveau à l’Allemagne : en réalité, l’ensemble de la contrée se trouvait naturellement divisé en un grand nombre de gouvernements distincts, communautés de montagnards, villes libres, bourgs seigneuriaux, fiefs médiats et immédiats. Suivant que les territoires étaient plus ou moins ouverts à l’agression, ils avaient plus ou moins bien réussi à sauvegarder leur indépendance. Aussi, d’une manière générale, peut-on dire que la partie de la Suisse tournée vers les plaines allemandes fut pendant le cours des siècles celle que menaça le plus souvent l’invasion ; toutefois, des écrans protecteurs garantissent quelque peu les vallées : le lac de Constance et le coin furieux du Rhin forment une barrière transversale au nord de la Suisse et, plus loin, les hauteurs du Jura souabe, étalées largement entre Rhin et Danube, rejetaient à droite et à gauche les expéditions guerrières. Les voies historiques ont dû se tracer à l’ouest par la vallée qui borde le Rhin entre Vosges et Forêt noire, à l’est par les régions des sources danubiennes. Quant au grand chemin de pénétration en Suisse que les gens du nord, commerçants, immigrants pacifiques ou soldats, pouvaient atteindre, soit indirectement en contournant les montagnes de la Germanie méridionale, soit directement en