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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/36

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l’homme et la terre. — les communes

tiative du défrichement, prirent d’abord une plus grande part que les seigneurs à l’institution des sauvetés : elles pouvaient se constituer ainsi assez facilement en véritables fiefs religieux. Le clergé avait cet avantage capital de fonder des asiles où les nouveaux-venus, malheureux, voleurs ou même serfs, se trouvaient sous la sauvegarde efficace d’un saint universellement vénéré. Quatre croix, limitant l’espace sacré, indiquaient la protection divine, et c’est à leur abri que s’élevaient rapidement les maisons et cabanes des protégés de l’Eglise[1].

Mais si les prêtres fondaient volontiers des sauvetés, où se recrutaient pour eux des travailleurs et payeurs de dimes, ils étaient d’autant plus hostiles à la bourgeoisie naissante des villes qui spontanément revendiquaient des franchises. A cet égard, les princes ecclésiastiques furent beaucoup plus rêches et durs que les princes laïques. C’est que les évêques avaient un système tout fait, des doctrines arrêtées ; dans le gouvernement des villes comme dans celui de l’Eglise, ils se croyaient volontiers représentants de Dieu sur la terre. Ils ne voyaient que des rebelles dans ces bourgeois qui cherchaient à faire respecter leur autonomie, et, en effet, ils ne cédaient que lorsqu’on avait sonné le tocsin pour leur courir sus. Et puis les villes épiscopales possédaient tout un ensemble d’institutions qu’on ne pouvait modifier sans le changer du tout au tout. Les évêques comprenaient fort bien l’alternative redoutable. D’ailleurs ils étaient en général plus forts que les comtes et pouvaient mieux résister à la pression d’en bas. Les cités ecclésiastiques étaient plus solidement établies que les résidences princières, grâce à l’esprit conservateur de l’Eglise, qui leur assurait la durée. Tandis que le siège du gouvernement, et par suite l’appel des ressources financières, se déplaçait fréquemment chez les princes laïques, au gré de leur plaisir ou suivant les hasards de la guerre, l’évêque officiait toujours dans la même cathédrale, recevant toujours au même lieu les offrandes qu’on lui apportait de toutes les contrées environnantes : par sa persistance, l’institution était plus puissante que l’homme[2].

Mais en dépit de toutes les oppositions, qu’elles vinssent des rois, des seigneurs ou des prêtres, la commune devait se former quand même au sein de la société féodale, puisqu’elle était l’organe de besoins nouveaux dans la vie des nations : la bourgeoisie naissait avec l’industrie et le

  1. A. Luchaire, Histoire de France, par B. Lavisse, tome II, 2e partie, p. 340.
  2. H. Pirenne, Histoire de la Belgique, p. 121.