Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
372
l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

aussi des influences heureuses, quoique, vue en grand d’une manière générale, elle soit principalement un phénomène de réaction contre la pensée. D’abord, ce fut une révolte, et, comme telle, elle fut accompagnée forcément de nobles revendications et de hauts exemples. En outre, la Réforme affirma pour elle-même et d’une manière triomphante la liberté d’examen : elle aurait donc à cet égard une grande part dans l’histoire des progrès humains. Toutefois la Réforme s’ingéniait à la fois à donner et à retenir. Oui, elle proclamait la liberté d’examen, mais les audacieux qui se permirent cette liberté grande d’examiner les raisons de la foi sans autre guide que leur propre intelligence le firent à leurs risques et périls, et ces risques allaient jusqu’à l’emprisonnement, jusqu’à la mort par le glaive et le bûcher : les protestants aussi savaient manier la hache et allumer le feu purificateur. Oui, les moines, les prêtres, les théologiens, même les simples lettrés qui avaient la Bible entre leurs mains, surtout le texte original, hébreu, chaldéen, grec ou l’édition latine, très incorrecte, de la Vulgate, s’attribuaient hardiment le droit d’obéir directement à la parole divine en « sondant les Écritures » ; mais il fallait que cette opération de « sondage » les menât aux mêmes conclusions que leurs devanciers dans la recherche de la vérité, sinon, ils devenaient coupables de blasphème, de péché contre le Saint-Esprit, d’abomination criminelle, punissable de l’enfer.

La Réforme demandait, exigeait le droit d’examen, mais elle exigeait que le résultat fût conforme aux conclusions qu’elle avait déduites : elle apportait un peu plus de raison, laquelle raison voulait s’imposer à tous, parce qu’elle se disait et se croyait la Raison définitive, la Raison éternelle[1]. La Réforme n’a point proclamé la liberté d’opinion : elle fut seulement une période initiale dans l’histoire des luttes que livrèrent les révoltés de la pensée. Elle posa la question qui, d’ailleurs, est loin d’être résolue, car toutes les libertés sont solidaires : aucune liberté n’est garantie aussi longtemps que toutes ne le sont pas.

On peut comparer aussi les protestants et les jésuites, représentants des deux tendances opposées de la société religieuse au seizième siècle, par leur attitude envers l’art et les artistes. Le retour du protestantisme vers la Bible dans son entier aurait eu certainement pour conséquence logique de faire condamner absolument la peinture et la sculpture, toute

  1. Elle Reclus, Notes manuscrites.