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l’homme et la terre. — les communes

saire et laissèrent à d’autres le soin de faire prospérer la cité nouvelle.

On remarque, à la simple vue de la carte, la position similaire que Gênes occupe, relativement à Venise, dans l’équilibre commercial de la péninsule Italique. L’une et l’autre cités se sont fondées vers la courbe la plus avancée de leur golfe, de manière à devenir des foyers de convergence pour le plus grand nombre possible de voies continentales : Gênes, aussi bien que Venise, était un lieu d’expédition et de répartition tout désigné pour un cercle très étendu. Mais lorsque la ville ligurienne était dépourvue d’un outillage de digues et de brise-lames, elle était librement ouverte sur la mer et recevait en plein la houle et les vents du large, de même qu’elle était exposée aux attaques d’une flotte ennemie. Au point de vue mondial, elle avait un autre désavantage d’importance majeure : elle communiquait beaucoup moins facilement avec le versant septentrional des Alpes. Les marchands génois franchissaient d’abord les Apennins, puis, au delà des plaines lombardes, avant d’atteindre les pentes qui descendent vers la Germanie, avaient à s’engager dans des défilés beaucoup plus élevés et plus difficiles que ceux utilisés par Venise.

La route la plus fréquemment suivie par les bandes germaniques était celle du Brenner (1 372 m.). De 144 expéditions entreprises à travers les Alpes par les souverains allemands durant le cours de l’histoire, 66, près de la moitié, choisirent cette voie. Pendant les trois siècles qui s’écoulèrent de 950 à 1250, quarante-trois armées descendirent en Italie par le Brenner ; mais, partis d’Innsbruck, les envahisseurs du nord ne s’engageaient pas dans les profondes gorges où rugit le torrent en aval de Sterzing, l’ancienne Vipitenum, sur la rivière Eisack ; ils gravissaient le col de Jaufen (3 100 m.), d’où ils redescendaient à Meran, sur l’Adige. Ce nom de Jaufen, autrefois Jauven, rappelle le nom latin, Mons Jovis, et témoigne de la fréquentation de ce passage du temps des Romains. De Trente à Vérone, le chemin principal ne longeait pas l’Adige, mais suivait une vallée parallèle, située à l’est, le beau val Sugana[1].

Ainsi les destinées des deux cités se trouvaient écrites d’avance pendant cette période qui avait fait échoir aux républiques italiennes le rôle de courtier entre l’Inde et l’Europe occidentale. Gênes ne pouvait être encore ce port de l’Allemagne qu’était Venise et que les souterrains

  1. A. Hedinger, Handelsstrasten über die Alpen in vor und frühgeschichtlicher Zeit, Globus, 15 sept. 1900.