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l’homme et la terre. — le roi soleil

pendant toute la dernière moitié du seizième siècle, fut celui d’un « gouvernement fort », c’est-à-dire peu respectueux de la vie humaine : la moyenne des pendaisons annuelles pour crimes, délits ou opinions s’élevait à un demi-millier. La « haute commission » nommée par la reine prenait tous les droits contre les sujets, même celui de les soumettre directement aux conseils de guerre. Le Parlement intimidé n’osait plus critiquer les actes de la souveraine et s’abstenait même de revendiquer sa prérogative essentielle, le vote du budget. L’Angleterre restait livrée au bon vouloir de la « Reine Vierge », d’ailleurs strictement économe, même dans ses caprices : elle approuvait fort le luxe déployé en son honneur par les favoris du jour, mais ne s’associait point à leurs prodigalités.

Néanmoins, Elisabeth resta glorifiée dans la mémoire du peuple par des motifs analogues à ceux qui rendirent « le roi Henri » populaire en France : son règne est la période représentative d’un ample développement du commerce et de l’industrie. Tous les arts de la paix fleurirent, et la population, moins opprimée par la misère, trouvant plus d’expansion pour son labeur, s’accrut largement. Avant la fin du seizième siècle, les antiques lois interdisant aux travailleurs de terre de quitter la glèbe natale prévalaient encore : la population n’était pas devenue mobile. En de rares districts seulement, là où les travaux manufacturiers avaient déjà pris naissance, à Norwich notamment, les maîtres tisseurs avaient le droit de prendre des apprentis où il leur convenait. Mais avec la nouvelle ère qui devait faire de la Grande Bretagne l’initiatrice de l’industrie mondiale, la transformation économique réagissait sur les anciennes mœurs, forçant la législation à se mettre à son service. Désormais, les actes de la reine Elisabeth et de ses successeurs permettront aux industriels de recruter leurs apprentis parmi les paysans, et aussi de se procurer leurs maîtres ouvriers en dehors de l’Angleterre : les guerres, les persécutions religieuses sévissant alors sur le continent leur fournissaient un grand nombre d’hommes intelligents parmi les plus habiles et les plus expérimentés dans les divers métiers. L’Angleterre s’enrichit donc aux dépens des contrées d’outre-mer et ceux qu’elle accueillait étaient précisément les meilleurs, la véritable élite, puisqu’ils avaient les convictions — chose rare — et la volonté de les défendre

1. W. Denton, England in the fifteenth Century, pp. 217 et suiv.