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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/52

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l’homme et la terre. — les communes

toire finale ; il succomba pourtant. Mais, tout en luttant contre les communes qui cherchaient à s’émanciper complètement de sa tutelle, il n’en était pas moins, dans une large mesure, le représentant du monde civilisé de l’Italie contre la barbare Allemagne ; de même, tout en prenant part aux croisades comme s’il était animé de la foi chrétienne, il pratiquait la tolérance à l’égard de ses sujets mahométans et se gérait presque en Oriental, dépouillant tous ses préjugés héréditaires d’Allemand et de catholique. Aussi dut-il à son tour entendre la Croisade proclamée, contre lui, et la lutte qu’il eut à soutenir contre le pape fut moins d’un rival que d’un hérétique. On lui attribua même des publications blasphématoires contre le culte officiel, contre ses saints, contre ses dieux. Homme intelligent et instruit, il étudiait sur le cadavre les organes du corps humain : prosateur et poète, il parlait et écrivait toutes les langues de son empire, l’arabe et le grec, l’italien et le provençal aussi bien que l’allemand.

En Sicile, dans l’Italie méridionale, sa politique fut la continuation de celle qu’avaient dû suivre les comtes normands. Ces conquérants, faiblement accompagnés, étaient trop peu nombreux pour ne pas avoir à tenir compte de tous les éléments politiques et nationaux qui s’équilibraient dans le pays : ils en conservèrent la balance, et, comme l’avaient fait les Arabes avant eux, respectèrent absolument la liberté religieuse, au grand scandale des chrétiens fervents. Au douzième siècle, la Sicile offrait un spectacle unique, admirable, celui d’une contrée dont tous les habitants adoraient le dieu qui bon leur semblait. L’autonomie administrative était sauvegardée chez les Arabes et les Berbères, chez les Juifs et les Grecs, aussi bien que chez les indigènes siciliens. Grâce à la liberté, ces éléments si divers, qui auraient pu alimenter d’âpres guerres civiles, n’entraient pas en fermentation de lutte, et le pays développait en paix son industrie et ses richesses : les Grecs y introduisirent la sériciculture : d’autres étrangers y apportèrent leurs professions et leurs métiers. Il est probable que la boussole, quelle qu’en soit l’origine première, locale ou d’importation étrangère par l’intermédiaire des Arabes, parvint dans les mers siciliennes à voir son usage généralisé. Le mot même est un vocable sicilien qui signifie caissette en bois. Quant à la marque de la fleur de lys, gravée, encore de nos jours, sur le cadran de la boussole, elle ne put être apposée que dans le domaine des Deux-Siciles, gouverné à la fin du treizième siècle par des princes de