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l’homme et la terre. — le dix-huitième siècle

plus grave, moins brillante et moins littéraire, mais aussi profonde qu’en France, la pensée humaine abordait en Angleterre toutes les sciences d’observation ; même l’œuvre de l’Encyclopédie, dirigée par des penseurs libres, y prenait une forme analogue à celle que lui donna plus tard le fougueux génie de Diderot, puisque c’est le Dictionnaire universel des Arts et des Sciences ou Cyclopedia, publié par Ephraïm Chambers en 1728 qui suggéra l’idée de l’ouvrage français, dont le premier des dix-sept volumes date de 1761 et le dernier de 1765.

Toutefois les États de l’Europe ne pouvaient abandonner le passe-temps de la guerre. Les armées continuaient d’aller et de venir, souvent sans que l’on sût trop quel était l’ami ou l’ennemi, et on changeait d’adversaire, d’alliés, de politique, suivant les conseils d’un confesseur ou les caprices d’une dame de la cour. Mais, lorsque la grande guerre recommença, il y eut au moins un capitaine, Frédéric II de Prusse, qui prit la chose très au sérieux et dont la claire volonté, d’ailleurs insoucieuse de tout scrupule, devait nécessairement triompher de gens qui ne savaient pas vouloir. C’était, dans la dualité des États principaux de l’Allemagne, le prince dont le royaume représentait la plus grande unité nationale. Tandis que l’Autriche était un magma de peuples hostiles les uns aux autres, ayant des mœurs, des traditions, des langues différentes, et toujours difficiles à mettre en ligne, à tenir sous une même direction, la Prusse embrassait un ensemble de populations, sinon très unies, du moins très solidement martelées et assujetties : Allemands et Slaves plus ou moins organisés formaient une masse compacte, bien dressée à l’obéissance, de même que l’armée réglementée par les souverains de la Prusse avec un zèle qui touchait à la manie.

Depuis la paix de Westphalie, le petit État de Prusse s’était graduellement agrandi, consolidé, dégagé des puissances voisines, Suède, Pologne, Empire d’Autriche. Très ambitieux et prenant part à toutes les intrigues diplomatiques de l’Europe, le « grand Electeur » Frédéric Guillaume avait même voulu, presque sans marine, se donner un empire colonial ; au risque de se brouiller avec ses voisins jaloux, les marchands hollandais, il avait fait établir un comptoir sur le cap des Trois Pointes, un des promontoires de la Côte de l’Or. Mais bientôt après cette entreprise, qui ne devait point avoir de résultats utiles, la Prusse eut un coup de fortune, la révocation de l’édit de Nantes,